n°47-48 – 2015 – 11

LA DOMINATION MASCULINE ENCORE

ROSE-MARIE LAGRAVE

La publication de La domination masculine a suscité colères réactives et lectures enchantées, laissant place, toutefois, à une réflexivité critique plus distancée. Pour mettre au jour les contradictions, paradoxes et malentendus à propos de cet ouvrage, on se propose de procéder à un double déplacement : restituer les effets du contexte scientifique de la décennie 1990/2000 sur la production de cet ouvrage et sur les controverses à son propos ; analyser ensuite ce que les justifications avancées par Bourdieu pour répondre aux critiques doivent à son déni de détenir un privilège masculin, et à sa position d’outsider dans l’espace académique de la cause des femmes.

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n°47-48 – 2015 – 12

EN QUEL SENS LA SOCIOLOGIE DE PIERRE BOURDIEU PEUT-ELLE ÊTRE DITE CRITIQUE

LOUIS PINTO

La dimension critique en sociologie n’est pas une option parmi d’autres. Elle est constitutive de la démarche de toute science et de la visée d’objectivité qui lui est inhérente. Si le propre de la science est la mise en évidence et le dépassement des apparences (des apparences de savoir) en tant que telles, il s’agit dans le cas spécifique de la sociologie de comprendre ce qui fait la force sociale de ces apparences. Loin de toute arrogance scientiste, la critique est simplement l’exercice par lequel le sociologue se comprend lui-même comme point de vue dans l’espace des points de vue, seule façon d’en surmonter les limitations. S’en remettre aux vertus d’une description « naïve » de l’expérience primordiale est encore une forme de leurre scolastique fondée sur l’illusion de transparence et d’accès immédiat au réel. On se propose ici d’explorer trois des cibles principales de la posture critique : la raison scolastique, les savoirs indigènes, la domination symbolique.

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n°47-48 – 2015 – 13

Spatialiser Pierre Bourdieu En Algérie :

Terrain social, terrain d’enquête, terrain de guerre

André Rapini

Ce document propose une cartographie des enquêtes algériennes de Pierre Bourdieu. En suivant dans plusieurs sources les traces de cette expérience fondatrice d’une approche originale, une première carte croise la trajectoire de Bourdieu sur le sol algérien avec ses prises de position à propos de la «situation» et de la guerre coloniale. Une deuxième carte situe les différentes étapes de la recherche sur les travailleurs et les centres de regroupement dans les principaux événements de la guerre.

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n°47-48 – 2015 – 14

L’EN-DEÇÀ POLITIQUE DANS L’ŒUVRE ALGÉRIENNE DE PIERRE BOURDIEU OU LES TROIS COMBATS DU JEUNE PIERRE BOURDIEU

CHRISTIAN DE MONTLIBERT

L’étude propose de voir dans « l’œuvre algérienne » de Pierre Bourdieu trois manières de voir et de faire différentes – bien qu’imbriquées- toutes inspirées et animées du désir de s’opposer aux préjugés et aux prénotions tant populaires que savantes de l’époque. Soit un premier combat contre l’ignorance de la variété et de la richesse des cultures qui demande un regard sensible aux différences ethnologiques et historiques, un deuxième combat scientifique qui exige de mener des études de terrain dans les villages, dans les villes et dans les camps de regroupement et qui oblige à un affrontement aux théories les plus avancées à ce moment dont la phénoménologie existentialiste et la rationalisation structuraliste sont les meilleurs représentants, un troisième combat enfin, plus politique, qui conduit, en s’appuyant sur les travaux scientifique, à prendre position sur les manières de vivre et de penser à-venir des groupes sociaux en confrontant souhaitable, possible et probable.

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n°47-48 – 2015 – 15

Retour sur l’Algérie au temps des camps de regroupement

Souvenirs d’un étudiant enquêteur dans l’équipe Bourdieu-Sayad

Jacques Budin
s’entretien avec Tassadit Yacine

Jacques Budin, alors élève en classe préparatoire au lycée du Parc à Lyon, a fait partie de l’équipe de Bourdieu qui a enquêté sur les centres de regroupements de la presqu’île de Collo à l’été 1960. Nous l’avons rencontré chez lui, à Aix en Provence. Il nous raconte comment il a rencontré Bourdieu et Sayad, il y a plus de cinquante ans, en Algérie.

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n°47-48 – 2015 – 17

L’ESPACE GÉOGRAPHIQUE COMME « CHAMP REPRÉSENTATIONNEL » :

LES REPRÉSENTATIONS SOCIO-SPATIALES DE STRASBOURG

PIERRE DIAS & THIERRY RAMADIER

Cette étude aborde les représentations spatiales de la ville en cherchant à montrer que les trajectoires sociales sont tout aussi importantes que les positions sociales pour comprendre comment se construit et s’organise leur contenu. En s’appuyant sur les représentations de Strasbourg, cette recherche a pour objectif, d’une part de faire le lien entre des modèles théoriques de la psychologie sociale et de la sociologie à partir d’une hypothèse qui leur est commune, à savoir que les structures cognitives sont aussi des principes générateurs de prises de position dans la structure sociale. D’autre part, elle cherche à montrer que cette homologie structurale s’applique également à l’espace géographique, un objet plus souvent abordé sous un angle cognitiviste, subjectiviste ou culturaliste quand il s’agit de considérer sa dimension spatiale (et non uniquement ses significations), évacuant d’emblée l’existence d’un « champ représentationnel » autour de la ville. Pour éprouver cette hypothèse, nous avons réalisé une enquête par questionnaire auprès de résidents d’un quartier pavillonnaire strasbourgeois. L’analyse de la structure des représentations recueillies a permis d’identifier quatre groupes de représentations différentes. Ensuite, une description sociodémographique de ces groupes a montré que les liens entre la structure sociale et la représentation de l’espace urbain reposent fortement sur les trajectoires sociales intergénérationnelles des résidents. Ces résultats montrent que la représentation de la ville n’est ni qu’un simple « outil cognitif » émanant d’un « sens de l’orientation » au service des pratiques, ni, à l’inverse, qu’une trace psychologique des « expériences » urbaines antérieures. Ce sont des objets psychologiques qui (se) construisent et (s’) organisent (à partir de) la structure sociale depuis l’histoire sociale de la personne notamment.

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n°45-46 – 2013 – Sommaire

Approches critiques de la mobilité

Sommaire

Simon Borja, Guillaume Courty & Thierry Ramadier

« Mobilité » : la dynamique d’une doxa néolibérale

Christian de Montlibert

Éléments de sociogenèse d’une catégorie idéologique : la mobilité, années 1950-1970

Philippe Fritsch

Les équivoques de la mobilité, comme catégorie pratique et comme norme « à pas variable »

Jean-Baptiste Frétigny

La mobilité naturalisée par les lieux de passage : étude de la publicité à l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle

Marianne Blidon

Analyser les trajectoires géographiques des gays

Présupposés et données disponibles

Benoît Vimbert

Réflexions d’un praticien autour de quelques dimensions socio-spatiales de l’immobilité

Simon Borja, Guillaume Courty & Thierry Ramadier

De la valorisation de la mobilité à la domination par la mobilité ou comment la mobilité dit, fait et dispose l’individu

Christelle Morel Journel, Valérie Sala Pala

Agir sur les mobilités résidentielles en situation urbaine incertaine

Réflexions à partir de l’exemple stéphanois

Philippe Cordazzo

La réorganisation spatiale des ségrégations sociales en HLM au prisme de la mobilité résidentielle

Joël Cabalion

Les dimensions d’une mobilité socio-spatiale forcée en Inde centrale

Christophe Hanus

Les rivalités entre les lignées familiales : frein ou moteur à la mobilité géographie ?

Cécile Vignal

Ruptures du travail ouvrier et ruptures des rapports familiaux à la mobilité

Josette Debroux

S’assurer une position résidentielle en zone peri-urbaine : des pratiques résidentielles marquées par l’origine, la trajectoire et les perspectives de mobilité

Benoît Leroux

Devenir agriculteur biologique

Approche des processus de (re)conversions socioprofessionnelles

Loïc Wacquant

La fabrique du cloisonnement urbain au 21ème siècle

n°45-46 – 2013 – 01

« Mobilité » : la dynamique d’une doxa néolibérale

Simon Borja, Guillaume Courty & Thierry Ramadier

La « mobilité » ne va plus, depuis qu’elle est inscrite dans le « dictionnaire des idées reçues » de la pensée néolibérale, sans un impressionnant cortège d’injonctions (« soyez mobiles »), d’incantations (« Si vous alliez (ici ou là), vous…») ou de déplorations (« Ah s’il-s étai-en-t mobiles, ils… »). Dans le dernier lexique en vigueur, elle s’énonce, se décline, s’ajoute ou résonne aux côtés de la fluidité, de la créativité, de « solutions adaptées », des projets quand il ne s’agit pas de liberté, d’autonomie, d’épanouissement ou de dynamisme personnel-s. « La » mobilité accompagne et connote ainsi toute expression de mouvement, que cette dernière concerne des biens (ie : moyens de transports collectifs ou individuels), des personnes (ie : étudiants, salariés), des compétences (ie : agilité, ouverture d’esprit), des idées (ie : politiques, scientifiques) ou des informations (ie : média, avoir un « mobile », être en réseaux).

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n°45-46 – 2013 – 02

ÉLÉMENTS DE SOCIOGENÈSE D’UNE CATÉGORIE IDÉOLOGIQUE : LA MOBILITÉ, ANNÉES 50-70

CHRISTIAN DE MONTLIBERT

Pour débuter à l’analyse de la mobilité, nous vous proposons de lire la version intégrale inédite d’un article paru en 1978 dans une version plus courte. Sa relecture permet de rappeler que le phénomène n’est pas neuf. La « nouveauté » de la « mobilité » tiendrait d’ailleurs peut-être en partie aux méandres empruntés pendant sa lente consécration à partir des fondements « idéologiques » qui étaient déjà posés dans les années 70. La leçon de sociologie en est toujours bonne à prendre. Les mots les plus utilisés pour parler de la société et de l’activité humaine ne naissent pas de rien et tiennent bien à de vastes logiques qui leur fournissent plus ou moins de sens, qui les inscrivent plus ou moins dans les manières de penser en les dotant au passage de l’apparence de la nouveauté, cette sorte d’illusion qu’ils inventent pour résoudre des problèmes qui étaient abordés selon d’autres focales avec d’autres intensités. Cette relecture nous invite donc à interroger cette logique particulière de la consécration de la mobilité : faire neuf avec de l’ancien ou, mieux, parer l’ancien de vertus nouvelles et novatrices. Faire du neuf est bien un registre du pouvoir de dire et de faire dire ; registre étendu qui rend le terme aussi malléable qu’il est pétri d’entendements complexes et pluriels, qui le posent et le proposent, qui l’ajustent et le réajustent à mesure qu’il pérégrine entre différents espaces pour y revenir différemment coloré et connoté. Ici dans l’académie. Là dans un ministère, puis deux. Et encore dans un bureau de la Commission. Et en retour, un peu partout dans les exécutifs territoriaux. Lors de cette histoire, un mille-feuille s’est composé tranches d’entendements après tranches d’évidence partagée, positivement élaborées, entrecoupées d’éléments symboliques qui confèrent une représentation inéluctablement en mouvement de ce monde (monde lui-même représenté comme inéluctablement en mouvement). À partir de ce texte, s’il s’agit de voir que la mobilité n’est pas un donné, un terme figé une fois pour toute. Christian de Montlibert nous montre déjà, dans les usages politiques et entrepreneuriaux d’avant 1980, ce qu’il était susceptible de subsumer et d’adapter en perspectives rationnelles pour s’ajuster au monde tel qu’il est alors vu et sous-tendu. Il apparaît, déjà comme une idée logique, comme un élément constitutif de la structure des représentations du monde et de la société ; un élément participant aussi au renouvellement de ces représentations, en ajustant alors, les manières de dire le terme, les façons de les penser, aux façons de les voir, de les faire et peut-être, pour une des premières fois, de les imposer. (Simon Borja, Guillaume Courty & Thierry Ramadier)
Une version raccourcie de cet article est parue il y a 35 ans dans la revue de l’Institut d’urbanisme de la Faculté des sciences sociales de l’Université des Lettres et Sciences humaines de Strasbourg (devenue par la suite Université Marc Bloch puis fondue dans l’ensemble des universités strasbourgeoises baptisé Université de Strasbourg). Le publier en sa totalité alors que, aujourd’hui, le salarié doit être « flexible » et « nomade », c’est rappeler que les mots utilisés pour désigner les phénomènes sociaux sont arbitraires, qu’ils ont, pour le dire autrement, une histoire. Il importe donc de reconstituer leur genèse et de saisir l’institutionnalisation des procédures et des catégories de penser qui a contribué à les transformer en manières de penser « allant de soi ». (Christian de Montlibert)

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n°45-46 – 2013 – 03

LES ÉQUIVOQUES DE LA MOBILITÉ, COMME CATÉGORIE PRATIQUE ET COMME NORME « A PAS VARIABLE »

PHILIPPE FRITSCH

La mobilité est une de ces catégories descriptives et normatives qui ont dominé le champ idéologique dans le même temps qu’une fraction dirigeante de la classe dominante s’imposait dans le champ du pouvoir. En étudier l’émergence dans les argumentations et les textes qui ont instauré la formation permanente c’est se donner le moyen de comprendre ce que cette thématique doit à la position sociale de ses énonciateurs et de suivre les avatars d’une norme variable selon les catégories sociales auxquelles elle s’applique. La mobilité, tant géographique que sociale, va de soi pour les nouvelles élites internationales. Elle n’est le plus souvent que chance de survie pour la plupart des salariés contraints de s’accommoder aux aléas du marché du travail. Enfin, la mobilité est pratiquement, voire légalement, refusée à certaines catégories de population, dont les migrants non européens.

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