Christian de Montlibert

Christian de Montlibert

Christian de Montlibert

Christian de Montlibert, est un sociologue. Professeur émérite à l’Université Marc Bloch (Strasbourg), membre du CRESS (Centre de Recherche et d’Etudes en Sciences Sociales). Christian de Montlibert est le directeur de publication de la revue Regards Sociologiques (deux numéros par an). Christian de Montlibert est le Président de l’Association des Amis d’Abdelmalek Sayad.

1. Thèmes d’études de prédilection

Christian de Montlibert a produit une œuvre conséquente. Après avoir soutenu une thèse de troisième cycle sur les aspirations à la promotion de salariés suivant des cours du soir, puis un doctorat d’État sur les rapports entre la formation et la mobilité professionnelle, il a poursuivi des recherches de sociologie du travail (étudié les tâches des ouvriers d’un laminoir, des ouvriers d’entretien, les activités des agents de contrôle dans des entreprises d’électronique, les pratiques des infirmières, les fonctions des ingénieurs de fabrication, l’évolution de l’emploi des jeunes, les interventions des travailleurs sociaux dans la vie familiale, les conditions d’exercice des professions architecturales), analysé les changements et mutations du monde contemporain (la violence du chômage, les conflits sociaux entraînés par la fermeture d’entreprises, les mobilisations collectives régionales), travaillé à une sociologie de l’éducation (formation permanente, transformations de l’organisation de la recherche et de l’enseignement supérieur), conduit des analyses de la domination politique et du pouvoir des administrations d’État (Bernsdorf W., Knospe H., Internationales Soziologenlexicon, Band 2, 1984, Ferdinand Enke Verlag, Stuttgart, p. 586).

Professeur et directeur de thèses réputé Christian de Montlibert a su amener les chercheurs qui travaillaient sous sa direction à explorer des voies nouvelles avec une extrême rigueur : les travaux réalisés sous sa direction sont connus pour leur grande qualité et nombre de ses anciens étudiants sont maintenant enseignants-chercheurs dans des universités françaises et étrangères.

Aujourd’hui Professeur Émérite, il continue d’encadrer des travaux de jeunes chercheurs et dirige la revue qu’il a fondée – Regards Sociologiques.

Christian de Montlibert est aussi connu pour ses prises de position politique sur le monde social dans le cadre de l’association Raisons d’Agir.

2. Biographie

Christian de Montlibert, né en 1937 à Orléans, dont le père a été tué en juin 1940 (citation à l’ordre du corps d’armée), a connu les conditions d’existence engendrées par la guerre puis de nombreuses contraintes qui l’ont obligé à être Maître d’internat dans des établissements scolaires d’Orléans puis enquêteur pour des bureaux d’études parisiens en même temps qu’il suit le cursus des études de psychologie de l’Institut de Psychologie de l’Université de Paris dirigé alors par Paul Fraisse.

Très intéressé par les statistiques, la méthode expérimentale et la psychologie sociale, il sera soutenu par le professeur Jean Stoetzel qui dirigera sa thèse de troisième cycle et par le directeur du Laboratoire de Psychologie Sociale de la Sorbonne, Robert Pagès, qui lui proposera d’entrer dans son équipe où il apprendra au contact de ce défenseur d’une psychologie sociale imaginative et rigoureuse, les exigences de la recherche. En 1959 Christian de Montlibert épouse Nadia Warlamow avec laquelle ils auront trois enfants : Catherine, Renaud, Ariane.

3. La formation permanente à Nancy

Après son service militaire dans une unité de dépistage psychiatrique (1961-1963), Christian de Montlibert a été sélectionné par l’équipe de professeurs que Bertrand Schwartz était en train de mettre en place pour développer la recherche et les pratiques de formation des adultes au Centre Universitaire Économique et Social de Nancy (CUCES) d’abord puis, comme Maître Assistant au sein de l’Institut National pour la Formation des Adultes (INFA). Durant dix ans il a sillonné l’Est de la France, de la Lorraine sidérurgique aux entreprises de Belfort, rencontré des groupes les plus divers (contremaîtres, ingénieurs, ouvriers, puéricultrices, travailleurs sociaux…). Son ouverture d’esprit et son adhésion à une approche ethnographique lui ont permis d’acquérir une connaissance de pratiques sociales très variées (Laot F., La formation des adultes ; histoire d’une utopie en actes : le complexe de Nancy, Paris, L’Harmattan, 1999).

Durant cette période, en même temps qu’il menait à bien sa thèse de troisième cycle sur « les aspirations à la promotion ; les élèves des cours du soir » sous la direction de Jean Stoetzel puis sa thèse d’État « mobilité sociale et éducation des adultes : être promu cadre ; la promotion supérieure du travail, organisation, tendances et résultats » sous la direction d’Alain Girard, il élaborait, avec Marcel Lesne et Philippe Fritsch, des éléments pour une sociologie de la formation permanente et surtout une nouvelle approche méthodologique de l’analyse sociologique du travail qui l’amènera à observer un laminoir de la sidérurgie, à enquêter dans les cimenteries, à analyser les fonctions d’ingénieur de fabrication, d’infirmière, d’agents technique de contrôle et d’architecte.

Ses travaux sur l’éducation permanente le conduiront à rencontrer Pierre Bourdieu et à se sentir très proche de ses analyses. Très impliqué dans les tensions engendrées par les forces concurrentes qui parcouraient le « Complexe d’éducation permanente de Nancy » il s’opposera à la transformation, après 1968, de l’INFA en agence à caractère industriel et commerciale.

4. L’Université de Strasbourg

Après la fermeture de l’institut d’enseignement supérieur qu’était l’INFA, Christian de Montlibert rejoindra l’université de Nancy d’abord puis sera élu maître de conférences puis professeur à l’Université des Lettres et Sciences Humaines de Strasbourg (devenue ensuite Université Marc Bloch).

De 1973 à 2006 (départ à la retraite) Christian de Montlibert assurera son enseignement en première année de DEUG (introduction au raisonnement sociologique), en licence (notions et concepts fondamentaux), en maîtrise (les différents types de domination) en DEA (pratiques de recherche). Il dirigera plusieurs thèses d’Etat, habilitations et thèses comme de nombreux mémoires de DEA, maîtrise et licence.

Il a assuré des enseignements en Grèce, à l’université de Lausanne, au Frankreich Zentrum de l’université de Freiburg. En 1971, profitant de l’augmentation des crédits aux formations doctorales, il a crée la revue Regards Sociologiques. Élu professeur émérite, il anime un groupe de recherche au sein du Centre de Recherches et d’Études en Sciences Sociales (CRESS) de l’Université Marc Bloch de Strasbourg.

Très impliqué dans le mouvement social de 1995 il n’a pas cessé depuis de prendre position, au sein de l’association Raisons d’Agir et dans la presse, sur les politiques sociales et éducatives.

5. Contributions à l’analyse sociologique

Son œuvre, inscrite dans l’orientation structuraliste-constructiviste de Pierre Bourdieu, se caractérise par une exigence de rigueur et de vérification constante guidée par un intérêt pour les formes de domination : que ce soit la domination des contraintes des postes de travail, la domination économique néo-libérale et la violence du chômage, la domination intériorisée qui résulte des formes de « domination douce » des travailleurs sociaux ou de la formation permanente, la domination symbolique des discours politiques, journalistiques ou des formes architecturales, la domination institutionnelle étatique.

Reste que pour lui les formes de domination n’existent qu’autant que des groupes d’agents les mettent en œuvre d’où un intérêt pour les pratiques de ceux qui l’exercent dans différents champs de la pratique sociale (banquiers, dirigeants d’entreprise, journalistes, consultants, formateurs, travailleurs sociaux, politiciens et dirigeants étatiques, ingénieurs). Aborder les formes de domination l’a conduit aussi à étudier ses effets et conséquences et les réactions individuelles et collectives qu’elles peuvent susciter : contradictions et tensions psychologiques, inventivité de savoirs et savoir faire pour maîtriser les conditions de travail,stratégies de promotion, manifestations collectives contre les licenciements ou des décisions politiques considérées comme injustes, rapports de violence.

Sa contribution au développement de la sociologie s’organise autour de la compréhension des formes et des effets des dominations « de leur structuration en choses et objets divers – le monde matériel – ; en organisations, bureaucraties, entreprises – le monde des institutions – ; en manières de voir et de dire – le monde de la culture – ; en manières de penser et d’agir – le monde des agents… » (Montlibert Christian de, Introduction au raisonnement sociologique, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 1990, 2ème édition, 285 p.).

L’intériorisation des rapports sociaux est analysée dans différentes recherches consacrées aux « trajectoires sociales », (travaux menés entre 1964 et 1968). On sait que les positions et situations des individus et des groupes ne sont pas seulement déterminées par les conditions d’existence et par les inégalités initiales mais aussi par la manière d’ y accéder. Ainsi la recherche d’une promotion par un diplôme obtenu en cours du soir (Montlibert christian de L’institutionnalisation de la formation continue, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg et Maison des Sciences de l’Homme, 1991, 182 p.), peut, pour certains, être la poursuite d’une ascension sociale déjà commencée à la génération précédente mais peut, aussi, pour un nombre important d’individus, être une tentative de reclassement faisant suite à un déclassement (par rapport à la situation des membres du groupe familial – Dubar C., Formation permanente et contradictions sociales, Paris, Editions Sociales, 1980, pp. 71-73.). Alors que les tables de mobilité sociale qui comparent la position professionnelle du père avec celle du fils ou de la fille tiennent compte, au mieux, de la transformation de la structure des emplois, la trajectoire sociale permet d’intégrer les parcours dans une structure elle-même en transformation. L’usage de la notion de trajectoire sociale permet aussi de porter une attention plus grande aux effets temporels et aux combinaisons d’éléments et de combiner une analyse objectivante (pente, longueur, forme de la trajectoire) et une analyse de la structure, du volume et des modes d’acquisition des ressources qu’un agent peut mobiliser.

L’étude des pratiques des travailleurs sociaux (assistants sociaux, puéricultrices, monitrices d’économie familiale – Montlibert Christian de, Le contrôle de la vie privée. Essai d’analyse sociologique de la contribution des travailleurs sociaux à la reproduction sociale, Neufchâtel, Delval, 1988, 161 p.) lui a permis de montrer comment l’autonomie relative du travail social reposait sur un processus qui permettait de se dégager des institutions de tutelle qu’étaient l’Eglise et l’Etat grâce à une psychologisation des actions d’encadrement moral qui, bien que manière douce d’intervention, n’en demeurait pas moins un moyen de contrôle social de la vie privée des membres des familles populaires et contribuait à la reproduction sociale puisque ce système véhicule des « modèles de conduite » qui organisent les rapports aux fractions dominées des classes populaires (Sledziewski E., « Le contrôle de la vie privée », Raison Présente, 1991, n°97, pp. 180-181 et Grossin W., « Crise économique et conflits sociaux dans la Lorraine sidérurgique », Revue française des affaires sociales, 1990.).

Dans la continuité de ces études des effets des situations sociales, l’ouvrage de Christian de Montlibert « La violence du chômage » (Montlibert Christian de, La violence du chômage, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2001, 125 p.) traite des effets de la domination économique du néo-libéralisme – entraînée par une volonté des gestionnaires des fonds de placement d’augmenter les profits financiers et justifiée par une apologie du risque, de la raison et de la modernité mondialisée – en montrant les souffrances qu’elle engendre chez les salariés licenciés et les coûts sociaux (situation des enfants, stigmatisation des jeunes, etc.) de telles décisions.

A la même période, Marcel Lesne et Christian de Montlibert, invités à construire une méthode d’analyse des situations de travail en vue de dégager des « besoins en formation » (Montlibert Christian de (avec Lesne M.), Formation et analyse sociologique du travail, Paris, La documentation française, 1972, 147 p.), non seulement soulignèrent la relativité sociale de la notion de besoins qui reçoit des significations différentes selon le point de vue idéologique adopté (Laot F., La formation des adultes ; histoire d’une utopie en actes : le complexe de Nancy, Paris, L’Harmattan, 1999, pp. 124-125 et 167-168) mais montrèrent, dans un article publié en 1969 dans Epistémologie sociologique, que les pratiques sociales – en l’occurrence les pratiques professionnelles – sont toujours le résultat d’une interaction entre deux processus : celui des contraintes produites par des rapports sociaux antérieurs cristallisés dans des règlements et des objets et celui des manières de penser, de faire, de voir et de sentir qui résultent de l’intériorisation des mêmes rapports sociaux antérieurs et que, dans ces conditions, seul le « modus operandi » pouvait être l’objet d’une analyse sociologique du travail (Rolle P., Introduction à la sociologie du travail, Paris, Larousse, 1971).

 Cristallisation
(objets, organisation)
 
Rapports sociaux
antérieurs
————————————»Pratiques
sociales
 Intériorisation
(manières de penser)
 

L’analyse des mobilisations collectives dans la Lorraine sidérurgique (Montlibert Christian de, Crise économique et conflits sociaux, Paris, L’Harmattan, 1989, 207 p.) en permettant d’articuler une étude monographique d’une situation concrète et une réflexion théorique récuse aussi bien les explications qui cherchent dans les besoins ou les désirs des individus les causes du mécontentement puis de l’action collective que celles qui privilégient la toute puissance des capacités mobilisatrices des « appareils » bureaucratiques des syndicats et partis politiques. Cette conception rejette l’explication mécaniste entre une situation objective et l’action en montrant que les catégories dominées ne sont pas destinées par nature, ou automatiquement, à s’opposer et à se révolter (Grossin W., «Crise économique et conflits sociaux dans la Lorraine sidérurgique », Revue française des affaires sociales, 1990).
« La revendication, loin d’être une production immanente de la relation de domination est aussi le résultat d’une construction sociale ». La revendication dépend d’un « travail » des agents les plus mobilisés à tous les moments du processus, visant à donner un sens à la réalité, pour mettre au jour les insatisfactions, les faire percevoir, les rendre dicibles, les transformer en motifs « revendiqués ». Le processus qui conduit à la mobilisation collective est donc sans cesse traversé par des luttes.
Dans ces conditions une définition essentialiste des groupes sociaux devient impossible puisque le groupe appelé à se mobiliser non seulement n’est ni donné d’avance ni nécessairement homogène mais qu’il est en perpétuelle redéfinition. Christian de Montlibert a, dans cette perspective, étudié diverses mobilisations dont des mobilisations régionalistes, les manifestations de 1995, les violences commises lors des rencontres sportives (Heysel – Gassert M.-Th., « Le drame du Heysel vu par un sociologue », Dernières nouvelles d’Alsace, 1985, 1 juillet.) et les manières dont la presse, en en rendant compte, participe à leur construction (A.T., « Dans la revue des sciences sociales : bruits de bottes autour du synchrotron », Le Monde, 1989, 7-8 mai, p.12).

Les formes et types de domination s’appuient essentiellement sur un contrôle de la reproduction sociale ou plus exactement sur une organisation de la reproduction sociale pour qu’elle se fasse au mieux des intérêts des groupes sociaux qui assurent tel ou tel type de domination. Dans cette perspective Christian de Montlibert a analysé les processus qui permettent la pérennité des formes et modèles de la domination symbolique bien au delà des situations sociales qui ont permis leur développement comme c’est le cas avec l’architecture et l’urbanisme (L’impossible autonomie de l’Architecte. Sociologie de la production architecturale, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg et Maison des Sciences de l’Homme, 1995, 227 p.). L’État et les luttes politiques pour contrôler ses appareils administratifs occupent une place essentielle dans ces dispositifs (La domination politique, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 1997, 174 p.). L’analyse, articulée autour des notions de capital politique (dont on peut étudier les différentes formes) et de champ politique (dont on peut étudier la relation à double sens avec le reste de l’espace social), permet de mieux comprendre en quoi la domination politique contribue à la reproduction de la domination économique et sociale (Lebaron F., « La domination politique », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 1997, n° 120, pp. 70-71). Concomitamment, aujourd’hui, on assiste à la montée en puissance d’organismes supranationaux, lieux privilégiés de l’exercice du pouvoir et de la reproduction des nouvelles classes dirigeantes internationales, qui contribuent, avec une déterritorialisation issue du champ économique, au dépérissement de « l’État social ». Cette thématique a conduit Christian de Montlibert à s’intéresser aux transformations actuelles de l’enseignement supérieur et de la recherche (Montlibert Christian de, Savoir à vendre, Paris, Raisons d’Agir, 2004). Ces réformes sont conduites selon une logique gestionnaire qui repose sur une conception de l’individu et du social qui valorise à l’extrême les individus considérés comme des « sujets » « entreprenants ». Cette perspective néo-libérale considère comme centraux des termes comme « modernisation », « adaptation », « communication », « optimisation de la gestion des ressources humaines » et veut à ce titre subordonner l’enseignement supérieur et la recherche à la « demande » du marché (Faure S., « Savoir à vendre, l’enseignement supérieur et la recherche en danger »).