n°45-46 – 2013 – 10

LES DIMENSIONS D’UNE MOBILITÉ SOCIO-SPATIALE FORCÉE EN
INDE CENTRALE

JOEL CABALION

Depuis l’Indépendance en 1947, les pouvoirs publics indiens ont déplacé plus de 60 millions de personnes – en majorité rurales – suite à la construction de grands barrages, de centrales thermiques ou de villes nouvelles parmi de nombreux autres grands travaux d’infrastructure. À partir d’une enquête de longue durée ayant pu observer les conséquences de l’édification d’un grand barrage en Inde centrale, cet article décrit et analyse les différentes dimensions de la mobilité socio-spatiale forcée. Fondée dans une ethnographie rurale des catégories sociales donnant sens aux existences paysannes – en particulier dudit système des castes et des structures familiales – l’étude engagée porte sur le processus du déplacement et ce qu’il convient d’appeler une structure d’inégalités en mouvement. Dépossédés, appauvris et bien souvent démoralisés, les déplacés subissent une destruction de leur base économique et une modification de leur ordre social. Des centaines de villages à travers l’Inde forment ainsi chaque année une communauté de destin paupérisée vouée à l’inutilité, à la monotonie et à un sentiment d’abandon à l’égard des institutions. De ces décombres engloutis et de cette « peine d’exister » les habitants tentent pourtant de se déprendre en reconstruisant leurs vies dans les nouveaux villages. Par quels moyens y parviennent-ils et comment ce problème du replacement des groupes sociaux est-il pensé et organisé par l’État indien ? Au travers l’étude de ces déplacements forcés, c’est un pan majeur des reconfigurations rurales affectant l’Inde paysanne d’aujourd’hui qui est saisi sur le vif, en mouvement et dans sa globalité.

RS45-46_2013_Cabalion

n°45-46 – 2013 – 11

LES RIVALITÉS ENTRE LES LIGNÉES FAMILIALES : FREIN OU MOTEUR A LA MOBILITÉ GÉOGRAPHIE ?

CHRISTOPHE HANUS

La seule voie de la rationalité économique est souvent privilégiée par les enquêtes et les observateurs du milieu rural pour expliquer les mobilités géographiques d’une région à une autre : on migre pour fuir un chômage persistant, parce qu’il n’y a aucune perspective au niveau local. Toutefois, comment expliquer qu’il demeure des personnes dans des régions économiquement ravagées ou que les régions les plus dynamiques ne font pas toujours le plein ? En partant d’un territoire jurassien, le val de Mouthe, et en réalisant des arbres généalogiques sur trois générations – qui prennent en compte aussi bien la lignée maternelle que la lignée paternelle des parents d’une personne, Ego, qui a vécu dans cet espace ou qui y vit toujours – nous montrerons que la concurrence entre les lignées dont ils sont les héritiers peut être prééminente dans le déroulement de leur parcours résidentiel, notamment quand la transmission du patrimoine constitue un enjeu essentiel pour l’une des branches familiales. En effet, les familles développent des stratégies, sur plusieurs générations, pour demeurer coûte que coûte dans un endroit ou, au contraire, pour privilégier la voie de la dispersion géographique. Qu’elle le veuille ou non, une personne hérite toujours de différents capitaux culturels, sociaux, économiques avec lesquels elle doit composer et qui dépendent des parcours résidentiels, scolaires et professionnels des générations qui l’ont précédée. Or, ces capitaux n’étant pas égalitairement répartis entre les groupes sociaux, nous verrons que les chances objectives de réussir une migration ou un ancrage varient fortement d’une famille à une autre.

RS45-46_2013_Hanus

n°45- 46 – 2013 -12

RUPTURES DU TRAVAIL OUVRIER ET RUPTURES DES RAPPORTS FAMILIAUX A LA MOBILITÉ

CÉCILE VIGNAL

L’objet de cet article est d’analyser les transformations du travail du point de vue de leurs effets sur la mobilité géographique d’ouvriers et sur les logiques familiales d’ancrage local. Notre approche suit rétrospectivement, sur 9 à 10 années, les trajectoires professionnelles et résidentielles de salariés (en majorité ouvriers) suite à la fermeture de leur usine de câbles de l’Aisne, en 2000-2001, et à sa délocalisation dans l’Yonne à deux cents kilomètres de leur domicile. Neuf années après la fermeture, la précarisation des trajectoires professionnelles est majoritaire que les salariés aient, ou non, accepté les injonctions à la mutation de leur emploi. La mobilité apparait bien comme un mode complexe de domination conduisant nombre de salariés à intégrer, pour soi-même et pour ses enfants, les injonctions à la mobilité du marché du travail. Avec le temps, les ressources de l’ancrage se trouvent limitées ou progressivement inopérantes pour ces familles. Nous faisons l’hypothèse que les fermetures d’usines accélèrent la rupture de transmission intergénérationnelle du rapport à la mobilité des milieux ouvriers.

RS45-46_2013_Vignal

n°45-46 – 2013 – 13

S’ASSURER UNE POSITION RÉSIDENTIELLE EN ZONE PERIURBAINE : DES PRATIQUES RÉSIDENTIELLES MARQUÉES PAR L’ORIGINE, LA TRAJECTOIRE ET LES PERSPECTIVES DE MOBILITÉ

JOSETTE DEBROUX

A partir d’une enquête réalisée auprès de périurbains installés depuis la fin des années 1990 dans deux communes périurbaines de Grenoble présentant un profil social contrasté, cet article montre l’intérêt de prendre en compte la trajectoire sociale et pas seulement la position sociale pour comprendre les choix de localisation, les rapports à la maison et à la vie locale. Alors que les individus en situation de mobilité ascendante cherchent à faire correspondre leur position résidentielle à leur nouvelle position sociale tout en conservant les habitudes acquises dans leur milieu d’origine, les individus en situation d’immobilité qui n’ont pu atteindre la position sociale espérée par leurs parents ou la maintenir, ne parvenant pas à améliorer leur position professionnelle ajustent leur position résidentielle à leur groupe social de référence. Dans les deux cas, les perspectives de mobilité professionnelle conduisent à renégocier les investissements dans la sphère résidentielle qui apparait comme une sphère d’ajustement social.

RS45-46_2013_Debroux

n°45-46 – 2013 – 14

DEVENIR AGRICULTEUR BIOLOGIQUE

APPROCHE DES PROCESSUS DE (RE)CONVERSIONS SOCIOPROFESSIONNELLES

BENOIT LEROUX

Par l’étude de différentes trajectoires d’agriculteurs biologiques (re)convertis ou installés, cet article se propose d’établir une première approche analytique des formes de déplacements professionnels (et géographiques) qu’opèrent les prétendants à la pratique agrobiologique. Ces (re)conversions sont considérées comme des processus sociaux articulant des trajectoires individuelles, des dispositions et un contexte dans lequel elles s’inscrivent. À partir d’une trentaine d’entretiens approfondis et d’une présentation sociohistorique du champ agrobiologique, l’analyse conduit à différencier les trajectoires d’agriculteurs conventionnels convertis des néo-agriculteurs installés en bio, puis à reconsidérer cette classification en soulignant l’importance jouée par la possession de capitaux (économique, social…) et par le parcours scolaire et professionnel des futurs agriculteurs bio.

RS45-46_2013_Leroux

n°45-46 – 2013 – 15

LA FABRIQUE DU CLOISONNEMENT URBAIN AU 21ème SIÈCLE

LOÏC WACQUANT

Cet article s’appuie sur mes livres Parias urbains (2006) et Punishing the Poor (2009), portant sur la transformation des modalités et de la gestion politique de la marginalité dans les sociétés avancées, pour décrypter l’usage de l’espace comme vecteur de fermeture sociale et de contrôle dans la ville. La première partie esquisse un cadre analytique pour l’analyse comparée du cloisonnement sociospatial, défini comme processus par lequel certaines catégories et activités sociales sont contenues et isolées dans un secteur réservé et restreint de l’espace physique et social. La seconde partie applique ce schéma et livre une analyse succincte des trajectoires divergentes du ghetto noir américain et des quartiers ouvriers d’Europe à l’ère post-fordiste ancrée par les trois concepts spatialement déclinés de ghetto, hyperghetto et anti-ghetto. L’article conclue en soulignant le rôle central de l’État dans le paramétrage du processus de cloisonnement tant en haut qu’en bas dans l’espace urbain selon des formules qui décrivent un continuum de la contrainte au choix.

RS45-46_2013_Wacquant