n°45-46 – 2013 – 05

ANALYSER LES TRAJECTOIRES GÉOGRAPHIQUES DES GAYS

PRÉSUPPOSÉS ET DONNÉES DISPONIBLES

MARIANNE BLIDON

Cette note de recherche a pour objectif d’interroger les présupposés épistémologiques et méthodologiques des travaux sur les trajectoires géographiques des gays afin de mieux articuler déplacements géographiques, positions sociales et identités sexuelles. Dans un premier temps, elle se propose d’analyser les trajectoires géographiques dans leur contexte et dans la durée, de dés-essentialiser les catégories socio-spatiales (urbain/rural, Paris/province, centre urbain/banlieue…) et de développer des approches réflexives. Dans un second temps, elle analyse les silences et les limites des données d’enquête disponibles. Elle montre notamment que les données d’enquêtes de référence – en population générale ou à partir d’enquêtes auto-administrées – ne portent pas explicitement sur les mobilités et que du seul lieu de résidence ne peut être déduit la forme de la trajectoire géographique des individus ; que la collecte de questionnaires en milieu urbain produit des réponses d’urbains et que la faiblesse des effectifs en population générale rendent peu fiables les mesures produites.

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n°45-46 – 2013 – 04

LA MOBILITÉ NATURALISÉE PAR LES LIEUX DE PASSAGE :

ÉTUDE DE LA PUBLICITÉ A L’AÉROPORT DE ROISSY CHARLES-DE-GAULLE

JEAN-BAPTISTE FRÉTIGNY

L’objectif de cet article est d’identifier les logiques de construction et de naturalisation de la catégorie de mobilité par l’étude de la publicité d’un lieu de passage très fréquenté. L’analyse porte sur un corpus exhaustif de publicités de l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle et sur une série d’entretiens, réalisés auprès des acteurs du champ publicitaire et de 48 passagers en partance. La catégorie de mobilité mise en jeu par les publicités est replacée dans le cadre de la production de l’industrie publicitaire, de son implantation et de sa réception à l’aéroport, dans le prolongement des analyses portées par les cultural studies. L’étude montre que les lieux de transport sont des sites privilégiés d’expression et d’actualisation des normes et des valeurs de la mobilité catégorisées par certaines élites marchandes, pour lesquelles l’usage du transport aérien est conçu comme un exemple paradigmatique d’affirmation de statut social par la mobilité spatiale.

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n°45-46 – 2013 – 03

LES ÉQUIVOQUES DE LA MOBILITÉ, COMME CATÉGORIE PRATIQUE ET COMME NORME « A PAS VARIABLE »

PHILIPPE FRITSCH

La mobilité est une de ces catégories descriptives et normatives qui ont dominé le champ idéologique dans le même temps qu’une fraction dirigeante de la classe dominante s’imposait dans le champ du pouvoir. En étudier l’émergence dans les argumentations et les textes qui ont instauré la formation permanente c’est se donner le moyen de comprendre ce que cette thématique doit à la position sociale de ses énonciateurs et de suivre les avatars d’une norme variable selon les catégories sociales auxquelles elle s’applique. La mobilité, tant géographique que sociale, va de soi pour les nouvelles élites internationales. Elle n’est le plus souvent que chance de survie pour la plupart des salariés contraints de s’accommoder aux aléas du marché du travail. Enfin, la mobilité est pratiquement, voire légalement, refusée à certaines catégories de population, dont les migrants non européens.

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n°45-46 – 2013 – 02

ÉLÉMENTS DE SOCIOGENÈSE D’UNE CATÉGORIE IDÉOLOGIQUE : LA MOBILITÉ, ANNÉES 50-70

CHRISTIAN DE MONTLIBERT

Pour débuter à l’analyse de la mobilité, nous vous proposons de lire la version intégrale inédite d’un article paru en 1978 dans une version plus courte. Sa relecture permet de rappeler que le phénomène n’est pas neuf. La « nouveauté » de la « mobilité » tiendrait d’ailleurs peut-être en partie aux méandres empruntés pendant sa lente consécration à partir des fondements « idéologiques » qui étaient déjà posés dans les années 70. La leçon de sociologie en est toujours bonne à prendre. Les mots les plus utilisés pour parler de la société et de l’activité humaine ne naissent pas de rien et tiennent bien à de vastes logiques qui leur fournissent plus ou moins de sens, qui les inscrivent plus ou moins dans les manières de penser en les dotant au passage de l’apparence de la nouveauté, cette sorte d’illusion qu’ils inventent pour résoudre des problèmes qui étaient abordés selon d’autres focales avec d’autres intensités. Cette relecture nous invite donc à interroger cette logique particulière de la consécration de la mobilité : faire neuf avec de l’ancien ou, mieux, parer l’ancien de vertus nouvelles et novatrices. Faire du neuf est bien un registre du pouvoir de dire et de faire dire ; registre étendu qui rend le terme aussi malléable qu’il est pétri d’entendements complexes et pluriels, qui le posent et le proposent, qui l’ajustent et le réajustent à mesure qu’il pérégrine entre différents espaces pour y revenir différemment coloré et connoté. Ici dans l’académie. Là dans un ministère, puis deux. Et encore dans un bureau de la Commission. Et en retour, un peu partout dans les exécutifs territoriaux. Lors de cette histoire, un mille-feuille s’est composé tranches d’entendements après tranches d’évidence partagée, positivement élaborées, entrecoupées d’éléments symboliques qui confèrent une représentation inéluctablement en mouvement de ce monde (monde lui-même représenté comme inéluctablement en mouvement). À partir de ce texte, s’il s’agit de voir que la mobilité n’est pas un donné, un terme figé une fois pour toute. Christian de Montlibert nous montre déjà, dans les usages politiques et entrepreneuriaux d’avant 1980, ce qu’il était susceptible de subsumer et d’adapter en perspectives rationnelles pour s’ajuster au monde tel qu’il est alors vu et sous-tendu. Il apparaît, déjà comme une idée logique, comme un élément constitutif de la structure des représentations du monde et de la société ; un élément participant aussi au renouvellement de ces représentations, en ajustant alors, les manières de dire le terme, les façons de les penser, aux façons de les voir, de les faire et peut-être, pour une des premières fois, de les imposer. (Simon Borja, Guillaume Courty & Thierry Ramadier)
Une version raccourcie de cet article est parue il y a 35 ans dans la revue de l’Institut d’urbanisme de la Faculté des sciences sociales de l’Université des Lettres et Sciences humaines de Strasbourg (devenue par la suite Université Marc Bloch puis fondue dans l’ensemble des universités strasbourgeoises baptisé Université de Strasbourg). Le publier en sa totalité alors que, aujourd’hui, le salarié doit être « flexible » et « nomade », c’est rappeler que les mots utilisés pour désigner les phénomènes sociaux sont arbitraires, qu’ils ont, pour le dire autrement, une histoire. Il importe donc de reconstituer leur genèse et de saisir l’institutionnalisation des procédures et des catégories de penser qui a contribué à les transformer en manières de penser « allant de soi ». (Christian de Montlibert)

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n°45-46 – 2013 – 01

« Mobilité » : la dynamique d’une doxa néolibérale

Simon Borja, Guillaume Courty & Thierry Ramadier

La « mobilité » ne va plus, depuis qu’elle est inscrite dans le « dictionnaire des idées reçues » de la pensée néolibérale, sans un impressionnant cortège d’injonctions (« soyez mobiles »), d’incantations (« Si vous alliez (ici ou là), vous…») ou de déplorations (« Ah s’il-s étai-en-t mobiles, ils… »). Dans le dernier lexique en vigueur, elle s’énonce, se décline, s’ajoute ou résonne aux côtés de la fluidité, de la créativité, de « solutions adaptées », des projets quand il ne s’agit pas de liberté, d’autonomie, d’épanouissement ou de dynamisme personnel-s. « La » mobilité accompagne et connote ainsi toute expression de mouvement, que cette dernière concerne des biens (ie : moyens de transports collectifs ou individuels), des personnes (ie : étudiants, salariés), des compétences (ie : agilité, ouverture d’esprit), des idées (ie : politiques, scientifiques) ou des informations (ie : média, avoir un « mobile », être en réseaux).

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